dimanche 15 mai 2011

L'enseignement des arts mis en jeu.


Maintenant avec le recul, je commence à voir ce qui me fait tiquer dans cette proposition du comité-conseil au sujet d’Arts et lettres, c’est que je ne la comprends pas. On ne me l'explique que partiellement.

Oui je sais, il est dit clairement que c'est à cause du recentrage du programme arts plastiques et que les programmes universitaires en arts visuels ont constaté le manque de préparation des étudiants en arts et lettres. 
Mais a-t-on réagi à ces deux seules constatations? 
Et quand, dans le même mouvement, on exclut danse et musique, je vois bien que les arts visuels ne sont plus seuls dans cette évaluation.
Ce qui est mis en jeu c’est l’enseignement des arts.

Mais quels sont les principes qui ont guidés le comité dans sa réflexion?
Le MELS doit avoir un plan d’ensemble pour l’enseignement des arts, il ne peut pas travailler comme ça à la pièce. Pourrait-on être mis au courant?
Car pour le moment, je me pose certaines questions.

-Quelle vision le MELS a-t-il de l’enseignement des arts à travers le primaire, le secondaire, le collégial, le post-collégial et l’universitaire?
-Quels sont les vrais objectifs du MELS dans cette transformation?
-Et selon quelles données ou observations et selon quelles évaluations?
-Doit-on comprendre que ces transformations sont de natures quantitatives et pas seulement qualitatives et qu’on veut protéger les programmes spécialisés  en arts au CEGEP comme Danse, Théâtre, Arts plastiques (futur arts visuels) et Musique ?
-Y-a-t-il un désir parallèle de diminuer le nombre d’étudiants dans ces programmes universitaires parce qu’il y en a trop et qu’il y a trop peu de débouchés?

-On veut améliorer la formation, mais selon quelles compétences à développer?
Améliorer la technique?  Est-ce vraiment ça? !!!

S’il y a un plan d’ensemble au MELS concernant l’enseignement des arts j’aimerais qu’on nous le présente.
En attendant il y a des conséquences à ces choix qui me laissent perplexes.

Arts et lettres change d’emballage et de contenu.
Le problème n’est pas seulement l’exclusion des arts comme profil puisqu’on pourra continuer à y enseigner les arts visuels, le théâtre, la littérature, (la musique et la danse, je ne suis pas certain). C'est qu'en créant un fourre-tout ouvrant de nouveaux horizons au CEGEP sur la culture et un peu sur les arts, on les fermerait pour l’université. Oh!

Cette nouvelle mouture du programme Arts et lettres conduirait à l’université, aux programmes de littérature, de langues, de traduction, de communications, etc, mais on aura pris la peine d’exclure la musique, la danse, les arts visuels et bientôt le théâtre.

C’est une transformation radicale sous le couvert de retouches mineures. 
De plus, cette professionnalisation des pratiques de l’art si tôt au CEGEP m’inquiète.

Mais examinons les retouches.

Les étudiants en Arts et lettres (profil arts visuels) n’auraient pas suffisamment de compétences pour suivre la formation en Arts médiatiques à l’université. Il y a pourtant des critères de sélection à l’université.
Ceux de l’UQAM (par exemple) se basent à 40% sur les notes et  à 60% pour le portfolio.
On nous dit que l’enseignement des arts visuels serait encore possible en Arts et lettres, mais le problème réside dans le fait qu’il ne conduirait plus à une formation universitaire en Arts visuels. Paradoxe.

Actuellement tout étudiant détenant un DEC peut faire une demande dans les domaines des arts médiatiques, de la musique, de la danse, etc.
Avec les nouvelles conditions d’admission universitaires pour les arts visuels, on passerait d’une avenue à 6 voies à un passage piétonnier. Selon cette nouvelle formule, seul les étudiants du programme Arts plastiques pourraient y avoir accès.
Il me semble que plusieurs solutions intermédiaires existaient, existent : Le portfolio déjà, limiter les demandes à certains programmes, examen d’entrée etc. C’est ce qui se fait en Design graphique à L’UQAM.
En Cinéma, en Journalisme, en Communication, en Design, en Architecture, en Danse, en Musique, en Théâtre etc, ces critères restrictifs de programme n’existent pas.  !!! (je me suis fié aux conditions d’admission de l’UQAM)
Faut-il en déduire que ces formations sont moins exigeantes?
J’en doute.

Ou encore, doit-on comprendre que bientôt, le Ministère exigera des étudiants qu’ils fassent un choix de carrière dès le CEGEP, s’ils veulent plus tard étudier dans les domaines artistiques.
En tout cas ce mouvement indique que les universités vont restreindre leurs accès aux  seuls étudiants détenteurs de DEC spécialisés en Musique, en Arts plastiques et en Danse. Théâtre devrait suivre bientôt. Là c’est moi qui interprète.

Et pourtant le domaine des arts est particulièrement difficile – je ne parle pas ici de l’apprentissage des techniques, des connaissances, de la réflexion sur la pratique, de la connaissance de l’histoire de l’art, de la discipline de travail - mais plutôt et surtout du futur financier. La profession d’artiste est peu reluisante en termes de revenus. Et tout le monde ne réussit pas.
Il faut se rappeler que ces formations universitaires sont de deux natures : Pratique artistique et Enseignement des arts.
Travailleur autonome trop souvent sous-payé, le praticien dans un de ces domaines doit bien souvent assumer d’autres emplois pour survivre et persévérer.  Un artiste qui vit uniquement de ses revenus d’artiste au Québec ou au Canada ne le fait pas pendant longtemps ou le fait tard dans sa vie d’artiste, et avec l’aide de bourses et de subventions ponctuelles, de contrats irréguliers, etc, ou enseigne.

Je cite le programme de Musique de l’UQAM, mais ça s’applique aux arts visuels, à la danse et au théâtre.

«Sauf pour les exigences scolaires, l'accès à cette profession dépend essentiellement des compétences individuelles des candidats, [...] dont les plus importantes sont sans conteste la créativité, le talent, la persévérance et l'originalité. Il est également essentiel de posséder une bonne culture générale. Les professeurs de musique et de chant doivent en plus démontrer des aptitudes et de l’intérêt à transmettre des connaissances, et avoir de grandes capacités à communiquer. Les aptitudes à négocier et à promouvoir ses réalisations font augmenter les chances de succès.»

La maîtrise des techniques est importante mais ce n’est pas le critère absolu et unique.
Je ne crois pas qu’on puisse traiter la formation en art de la même façon.

Il est important de donner une meilleure formation aux praticiens de l’art, mais il ne faut pas oublier ceux qui sont dans la marge, ceux qui sont intéressés par plusieurs domaines , ceux qui n’entrent pas tôt dans le moule technique. Il arrive bien souvent que ce soit eux qui fassent avancer les pratiques et les modèles artistiques, parce qu’ils ont eu la chance d’être en contact avec d’autres pratiques, qu'ils ont un regard différent.
Edouard Lock ne vient pas initialement de la danse, mais du cinéma et de la littérature. Michel Lemieux a fait l'école de théâtre mais agit aussi en arts visuels, en multi-média et en performance. Pierre Lapointe étudie en arts plastiques et en interprétation théâtrale à Saint-Hyacinthe avant de se diriger vers la chanson. David Altmejd, le représentant canadien à la Biennale de Venise en 2007 étudiait en biologie à l’université McGill. Il n’aurait plus accès à l’université en arts médiatiques de l’UQAM.

Comment demander à des étudiants du secondaire de choisir dès le CEGEP cette voie exigeante de la pratique de l’art. Certains n’hésitent pas. Ils savent ce qu’ils veulent.
Comment offrir la chance à d’autres étudiants de développer ces intérêts pour une pratique artistique si on les étrangle si tôt dans une seule voie.

N’est-ce pas préférable d’offrir à ces étudiants du CEGEP de la latitude, des expériences diverses, une formation multidisciplinaire, une formation générale culturelle et artistique, et donc un peu plus de temps pour se faire une tête et une meilleure idée de leurs intérêts. J’aime mieux voir un étudiant se chercher au CEGEP qu’à l’université surtout avec les frais de scolarité qui augmentent.

Peut-on donner une chance à ces étudiants qui s’intéressent aux arts mais ne savent pas exactement dans quel domaine ils ou elles veulent se spécialiser?

L’art n’est pas seulement un métier, une profession c’est aussi un espace flou (qui n’est pas nécessairement limité par une pratique ou une technique spécifique) où des individualités réussissent enfin à survivre et à se trouver. Oui, pourquoi ne pas le dire. 
C’est un espace où respirer, qui est ouvert, qui n’endure pas d’être enfermé dans un choix de carrière si tôt dans la vie de jeunes adultes.

Je propose que cette quatrième option soit activée dans le nouveau programme et que les programmes universitaires en conjonction avec le MELS trouvent des solutions intermédiaires sur les conditions d’admissions à leurs différents programmes pour ne pas exclure ces étudiants d’Arts et lettres.

5 commentaires:

  1. Bonjour Gilbert

    Je crois comme toi que l'enseignement des arts est important. Et c'est dans cet esprit que j'aimerais réviser nos profils, même dans une option Médias et dans une option Lettres (actuellement nous avons 2 profils dans l'option Arts et Lettres à Joliette: Cinéma et arts médiatiques / Littérature et création).
    J'espère que la dimension artistique sera encore bien présente et que l'option Médias ne sera pas seulement axée sur la communication.

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  2. Tout comme chez vous, nous nous préparons à réviser nos deux options Communication et Arts visuels et nouvelles technologies. Pour nous cette dimension artistique est nécessaire mais si elle ne conduit pas à un programme en arts à l'université, ce sera un problème pour recruter, malgré la qualité de l'enseignement que nous pourrions offrir. Salut

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  3. Bonjour Gilbert,
    Je comprends tes inquiétudes, sans toutefois les partager. (Je parle en mon nom, sans plus.) Pourquoi ? Pour deux raisons essentielles.

    D’une part, le comité de révision sera formé de quatre profs, qui auront à cœur de rédiger le programme de manière à rendre mieux compte de la réalité de nos enseignements, afin de les valoriser. C’est ce que j’ai dit lors de la réunion et je ne vois pas à l’horizon de raisons qui me feraient croire qu’il pourrait en être autrement. Des deux côtés de la table, i.e. du côté du ministère comme du nôtre, l’objectif est le même : former les étudiants, au mieux. C’est ce que j’ai pu constater lors du comité arrimage (Suzanne pourrait en témoigner) et c’est ce que j’ai encore constaté lors du comité de travaux (Megan pourrait en témoigner). Il n’y a eu pas d’agendas cachés, seulement une volonté, je dirais de part et d’autre, de se donner un programme de formation dans notre domaine qui soit à la hauteur de nos réalités et de nos ambitions.

    D’autre part, les Arts ne sont pas l’objet d’une exclusion dans le cadre de la révision envisagée, c’est plutôt les autres champs qui sont l’objet d’une inclusion. Le nouveau titre serait inclusif, à dessein : tous pourraient s’y reconnaître, les arts, les lettres, mais aussi les langues et les médias. Les appellations des options ne sont d’ailleurs pas au pluriel, sans raison. Cela dit, il y avait une certaine maladresse à ne retenir que trois options, lors des derniers travaux, ce qui tendait à laisser croire, à tort, qu’il y avait exclusion des arts. Le vote en comité a rectifié le tir de ce côté. Par ailleurs, il faut toujours se souvenir que les options sont des voies de sortie ministérielles, qui n’invalident en aucune façon les profils institutionnels que nous avons déjà développés, pourvu que les compétences déclinées dans les devis soient atteintes par les apprentissages retenus. Par exemple, ce n’est pas parce qu’une option s’intitulerait Médias que cela invaliderait un profil en Cinéma, tout court, si un collège, un comité ou un département le décide ainsi. Le pluriel est évocateur de la diversité des chemins qui peuvent être déterminés sur le terrain, à raison.
    Yves

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  4. Yves,
    merci de ces explications et de me rassurer sur les inclusions ou exclusions. Et je ne visais pas le comité mais un agenda ministériel que je ne comprends pas sur l'enseignement des arts.
    La qualité et la réalité de l'enseignement est le but du comité et du ministère, je le crois sans peine. Par contre, ma préoccupation porte sur la suite des choses à l'université.
    Les effets de l'exclusion pour les étudiants d'arts et lettres. Pas d'accès à l'université dans le domaine de leurs choix; entre autres ici, les arts visuels ou arts médiatiques universitaires.
    À chaque année nous avons quelques étudiants qui choisissent arts médiatiques ou Studio Arts à l'université. Et je crois être honnête en disant que ces étudiants sont plutôt sur le haut du panier dans leurs cours. Mais c'est accessoire.
    L'excellence de l'enseignement au CEGEP en arts et lettres n'est pas ici mis en jeu, mais plutôt à quoi elle peut conduire à l'université.

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  5. Bonjour à tous,
    Gilbert, cette sortie est vivifiante! Et je l'attendais, de ta part ou venant de quiconque enseigne les arts visuels. C'est que cette décision, tombée soudainement et qui nous a tous surpris en avril, appelait clairement une réaction, mais alimentée d'une réflexion sur la durée, ce que tu as fait.
    On connaît la méfiance naturelle de quiconque envers ceux qui nous dirigent; ici, c'est le MELS. Mais pour ma part, il est une question qui n'a pas été posée, et dont la réponse validerait ou invaliderait tes inquiétudes: pourquoi le ministère a-t-il fait l'économie d'une consultation des représentants d'Arts et lettres lors des discussions avec les universités concernant la légitimité d'une formation en arts visuels hors des programmes d'Arts plastiques? Personnellement, tout comme Yves, je ne crois pas à l'agenda caché... Alors quoi: de la négligence? Ou alors, comme tu le suggères, un désir de restreindre l'accès aux programmes universitaires dans les champs où les voies de sortie sont bouchées? Mais alors, qu'en est-il du cinéma, où le nombre de collégiens est disproportionné par rapport aux places disponibles dans les écoles de production cinématographique? Si le ministère n'a pas jugé pertinent de nous consulter, je crois qu'il se devait de mieux expliquer sa décision en mettant plus adroitement de l'avant ses motivations et en prenant soin de démontrer en quoi les étudiants y sont bel et bien gagnants... Peut-être, à la lueur d'une telle explication, aurions-nous mieux accepté cette décision, peut-être aurions-nous même reconnu la valeur du jugement critique des universités à l'égard des profils d'Arts visuels en Arts et lettres. Et, tel que suggéré par un professeur en avril, peut-être alors des cégeps ayant l'ambition de répondre à ce jugement auraient-ils été plus sereinement tentés de déposer une demande de programme d'Arts plastiques en remplacement de leur profil Arts visuels.

    Par ailleurs, ce que je retiens aussi de ton intervention, c'est le rappel de la mission des cégeps en qualité de de lieu de formation orientante. Cette mission semble potentiellement sur la balance. Je le rappelle, c'était l'idée derrière la première version de ma proposition en avril, où je demandais que le comité de révision évalue spécifiquement la pertinence d'une option pluridisciplinaire parmi les 4 qu'il retiendrait. J'ai dû revoir cette proposition, mais ce qui a été adopté ne rejette pas la pertinence de ramener le tout à la table des discussions.

    Merci, Gilbert, de partager ainsi avec tous tes préoccupations, elles sont toujours stimulantes!

    Luc

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